Au cœur de la péniche Fluctuart, à Paris, Hideo Kojima, Yoji Shinkawa et Woodkid ont présenté les coulisses de Death Stranding 2 On the Beach, une production qui conjugue ambition artistique et innovations techniques. Lors de cette rencontre organisée par PlayStation France, les créateurs ont détaillé leurs méthodes de travail, leurs inspirations et les contraintes d’un développement marqué par une période inédite. Entre la modélisation 3D, le dessin traditionnel et une musique procédurale, le jeu révèle un processus de création où chaque discipline contribue à une vision d’ensemble cohérente.
Death Stranding 2 : un scénario réécrit et une conception en pleine pandémie
L’écriture initiale de Death Stranding 2 avait débuté bien avant l’apparition du Covid-19. Pourtant, la crise sanitaire a imposé une révision profonde du projet. Hideo Kojima a expliqué durant cette rencontre parisienne que cette période l’avait contraint à repenser certaines dimensions narratives : « J’ai été obligé de réécrire l’histoire à cause des expériences que nous avions tous vécues. » La pandémie a démontré avec aisance la vulnérabilité des connexions humaines, un thème déjà présent dans le premier opus, mais devenu central dans cette suite.
Le développement a également dû s’adapter à des contraintes logistiques inédites : restrictions de déplacement, enregistrements retardés, difficultés de coordination. Pour Kojima, il s’agissait d’un défi parmi les plus complexes rencontrés en quarante ans de carrière. Malgré ces obstacles, l’équipe a choisi de maintenir une ambition inchangée : proposer une expérience immersive, accessible et attentive aux retours des joueurs. Les données récoltées grâce au système HashMAP ont permis d’observer les itinéraires empruntés par les premiers participants et d’affiner le rythme général du jeu.
Death Stranding 2 conserve ainsi un récit très fort (on a versé notre larme !) et une structure pensée pour que chacun puisse s’approprier l’aventure sans perdre de vue l’intention originelle : questionner la nature des liens qui unissent les individus.
Le travail analogique fait le bonheur de Yoji Shinkawa et conserve une place importante en pleine digitalisation des processus créatifs
Toute la conception visuelle de Death Stranding 2 repose sur un équilibre constant entre méthodes traditionnelles et outils numériques. Depuis trois décennies, Yoji Shinkawa collabore étroitement avec Kojima : leurs bureaux sont voisins, et leurs échanges quotidiens nourrissent l’évolution des concepts. Chaque idée passe d’abord par un dessin manuel, étape essentielle pour poser les bases d’un design organique. Shinkawa le rappelle : « Je commence toujours par l’analogique, c’est comme ça que j’insuffle de l’âme à mes créations. »
Ce processus se prolonge ensuite par la modélisation 3D, qui permet de tester la cohérence des objets et des costumes. Les maquettes, une fois imprimées, sont évaluées sous tous les angles : ergonomie, proportions, crédibilité. Ce degré de précision va même jusqu’à l’essai « physique » des accessoires, que l’équipe porte réellement afin d’identifier des ajustements. La taille et le poids du petit Dollman par exemple, ont été revus après ces expérimentations pour que son emplacement sur le costume de Sam ait le plus de sens possible.
Cette approche hybride répond à une exigence partagée : garantir que chaque élément du jeu soit crédible, même s’il ne sera jamais manipulé directement par le joueur. La démarche s’étend aux personnages : leur apparence est affinée en fonction des acteurs de la performance capture, intégrant leur gestuelle, leur charisme et leur présence scénique. Certains designs ont évolué en profondeur après les premières sessions, jusqu’à trouver une version finale fidèle à l’intention initiale et aux contraintes du tournage.
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La bande originale de Woodkid, une narration musicale vivante
La musique de Death Stranding 2 reflète la même recherche de cohérence que son univers visuel. Le compositeur Woodkid a rejoint le projet avec la volonté de créer une bande-son capable de prolonger la narration sans la submerger. Dès les premiers échanges, un mot-clé a guidé ses compositions : le sauvage, comme un écho à l’errance et à l’émancipation qui traversent l’histoire. Cette idée a donné naissance au morceau « To the Wilder« , enregistré avec l’actrice Elle Fanning au casting du jeu et pensé comme un thème central du jeu.
La démarche a nécessité un travail de déconstruction musicale, afin de parsemer le scénario de fragments sonores. Certains passages apparaissent sous forme d’échos discrets, d’autres sous forme de variations instrumentales qui préparent l’arrivée du morceau principal. Woodkid explique : « Je voulais que les joueurs aient la sensation de connaître la chanson avant même de l’avoir entendue en entier. » Cette méthode, conçue en collaboration étroite avec les équipes de Kojima Productions, participe à renforcer la dimension émotionnelle et immersive de l’expérience.
Le compositeur revendique des influences multiples, mêlant orchestrations inspirées de John Williams à des textures plus expérimentales. Cette diversité s’exprime notamment dans Rainy, un thème aux accents cinématographiques, et dans plusieurs compositions plus brutes, presque industrielles. La bande originale de Death Stranding 2 se démarque vraiment par le fait qu’elle va accompagner le récit par des variations d’intensité par exemple, tout en laissant place à l’interprétation et à la subjectivité du joueur. D’ailleurs, celle-ci aura prochainement droit à une superbe édition vinyle déjà disponible en précommande.
L’art de la transmission: un message aux futurs artistes
Lors de l’entretien parisien, Hideo Kojima a souligné à plusieurs reprises l’influence décisive des cultures française et japonaise dans son parcours. Il évoque la bande dessinée comme un socle fondateur : Enki Bilal, Moebius ou encore Jean Giraud l’ont profondément marqué et ont nourri sa façon d’imaginer des univers qui mêlent symbolisme et science-fiction. Ces références ont trouvé un écho dans la conception visuelle de DS2, notamment dans la représentation de certains décors et dans l’esthétique des costumes.
Le cinéma français occupe également une place importante dans son imaginaire. Kojima mentionne son attachement aux films noirs des années 50 et à la Nouvelle Vague, qu’il décrit comme des œuvres capables de conjuguer réalisme et poésie visuelle. Ces influences traversent sa mise en scène, jusque dans la direction des acteurs et la construction des séquences narratives.
Son récent passage au Festival de Cannes a confirmé la proximité grandissante entre le jeu vidéo et le cinéma : « Les réalisateurs et comédiens que j’ai rencontrés sont aussi des joueurs. Il n’y a plus vraiment de mur entre ces deux mondes. » Cette porosité alimente son ambition d’explorer de nouvelles formes d’expression, tout en maintenant une exigence artistique forte.
Enfin, un message adressé aux jeunes créateurs
Au terme de cette rencontre, Hideo a pris le temps d’évoquer sa vision de la transmission et les conseils qu’il souhaite partager avec celles et ceux qui aspirent à créer. Il rappelle qu’à l’époque de ses débuts, réaliser un projet relevait d’un parcours complexe : trouver un producteur, convaincre un éditeur, franchir des obstacles financiers. Aujourd’hui, la généralisation des outils numériques et la démocratisation des plateformes de diffusion ont profondément changé la donne.
Pour le créateur, cette évolution représente en réalité une sacrée opportunité: « Avec un téléphone portable et un peu de volonté, il est possible de produire un jeu, un film, de la musique. » Il encourage les jeunes créateurs à se saisir de ces moyens accessibles et à chercher des collaborations, même modestes, qui peuvent devenir des tremplins vers une reconnaissance plus large.
Cette volonté de partager son expérience va de pair avec une autre ambition : inspirer la génération qui viendra après lui. Kojima le formule clairement : il souhaite que ses œuvres donnent envie à d’autres de s’emparer du médium pour raconter leurs propres histoires. Cette transmission, entre héritage et innovation, reste l’un des fils conducteurs de sa démarche.